Haiti Chiquito à Cuba

Chronique d'une diaspora oubliée
Mars 2008, Cuba

Consuelo Doris Dias est « cubaine sur le papier, mais haïtienne de sang », puisque tant son père come sa mère sont haïtiens. « C’est pour moi un honneur d’être haïtienne, de provenir de la même terre qui a donné naissance à des hommes aussi illustres que Toussaint Louverture, Pétion, ces grands hommes qui ouvrirent le chemin de la liberté, non seulement aux ressortissants de leur pays, mais aussi aux autres pays colonisés et opprimés dans le monde ». Le père de Consuelo s’appelait Augustin et venait comme la grande majorité des Haïtiens ayant immigré à Cuba, de la région des Cayes, Ocay comme l’appellent les haïtiens de Cuba. Il est arrivé en 1932 à Santiago de Cuba et son idée était de faire de l’argent pour revenir chez lui en Haïti.

Lors de la deuxième vague migratoire qualifiée d’économique[1], à partir de 1911, un groupe d’hommes d’affaires cubains développait une association visant à fomenter l’immigration avec, pour principal objectif, l’importation d’une main d’œuvre haïtienne et jamaïcaine bon marché. L’entrée massive d’immigrant antillais à Cuba commençât légalement avec le décret n° 23 du 14 janvier 1913, à travers lequel on autorisait la Nipe Bay Company, entreprise américaine, à importer 1060 travailleurs antillais qui seraient employés dans le travail de la canne. Cette importation atteignit son point culminant à l’âge d’or de la production sucrière.
Les entreprises étrangères et cubaines profitaient des mauvaises conditions de vie qu’avaient les Haïtiens comme Augustin et des facilités offertes par les Gouvernements des deux pays. Avec les promesses qui leurs étaient faites d’une vie meilleure, ils se vendaient comme main d’œuvre moins chère et déplaçaient ainsi des milliers de travailleurs Cubains qui n’étaient pas prêts à accepter ces payes misérables pour la coupe de la canne.
Cette main d’œuvre haïtienne originaire en grande majorité des Cayes venait à cuba, trompée par les fausses informations qui leurs étaient données par les intermédiaires haïtiens sur la coupe de la canne. Durant ces 3 premières décennies, l’importation de main d’œuvre haïtienne était contrôlée par des intermédiaires Haïtiens, les contratistas. Chaque contratista regroupait une à deux dizaines de travailleurs qui resteraient sous son contrôle une fois à Cuba. Chaque groupe de contratistas avec ses travailleurs respectifs formait un chargement de 200 à 300 travailleurs. Ces Haitianadas, comme on les qualifiait de manière dépréciative, partaient des Cayes vers la cote sud-orientale de Cuba, traversée qui durait environ 24 heures. Une foi débarqué, chaque travailleur devait rétribuer le contratista avec une partie de son salaire pour lui avoir trouvé du travail et facilité le voyage à Cuba.
Mais une foi arrivé à Cuba, le père de Consuelo a du se confronter à la réalité, les maigres salaires ne permettaient jamais d’accumuler l’argent du retour. « Finalement il a fini par se marier ici dans la région de Oriente ou il a connu ma mère ».
Aux femmes, l’on racontait qu’elles viendraient laver des bouteilles pour 1 dollars par jour… Mais la réalité voulait qu’elles travaillent dans la prostitution, pour servir de distraction aux hommes arrivés seuls dans les premiers flux de la deuxième migration (entre1913 et 1923).
Pour compléter leurs maigres revenus, les haïtiens, comme le père de Consuelo réalisaient une migration vers les régions orientales productrices de café. Contrairement à la coupe de la canne, la récolte de café s’effectuait de manière individuelle et permettait de réaliser des gains substantiels. L’objectif était de réaliser des économies pour revenir, mais le jour du retour n’arrivait jamais.

Selon l’Anthropologue Cubain Rafael Salvador Garcia Graca[2], ils seraient officiellement 145.000 haïtiens à avoir, comme Augustin, entrepris le voyage vers l’eldorado Cubain entre 1911 et 1957 ; mais ce serait sans compter ceux qui sont entrés clandestinement. Le gouvernement Cubain viendra même à en expulser certains. « En 1937, durant la dépression économique, lorsque l’industrie sucrière tournait au ralenti, on les attrapait dans les rues et ils étaient envoyés à Santiago pour être rapatriés par bateau. Ce phénomène resta cependant circonscrit à la région de Camaguey et ne concernât qu’une minorité d’individus ».

Comme une majorité d’immigrés Haïtiens, le père de Consuelo a appuyé la révolution. « J’avais 9 ans lorsque triompha la révolution. Mon père avait l’impression que Fidel venait avec un changement pour les plus pauvres et il a donc supporté et aidé la révolution ». Très vite on lui mit a disposition de la terre et sa ferme fut légalisée. Augustin participa à la première rencontre de paysans en arme, sur le front oriental mené par Raul Castro en 1958. La situation de ce qu’était jusque là l’immigrant haïtien changea radicalement. Chaque Cubain d’origine Haïtienne a désormais, au même titre que les cubains, droit à un salaire mensuel et à une maison ainsi qu’à une pension. On reconnut à tout les haïtiens en âge d’aller à la retraite ce droit fondamental qui venait récompenser leurs dures années de labeur. En 1986 un décret voit le jour, stipulant que les Cubains d’origine Haïtienne sont exemptés de présenter un certificat indiquant le nombre total d’heures travaillées afin de toucher leurs indemnisations de retraite car, selon une maxime du propre commandante Castro, « c’est sur leurs épaules qu’a pesé le développement de l’économie haïtienne ». Avant 1959, l’Haïtien réalisait les travails manuels les plus durs comme la coupe de la canne ou la récolte du café. Longtemps ces communautés vivront en repli sur elles mêmes. « Beaucoup de préjuges pesaient sur le Haitien. On le disait Brujo, Santero… Lorsqu’ils ne voulaient pas se faire comprendre, ils parlaient créole.
Mais la plus grande victoire aura été, pour chaque Cubain d’origine haïtienne, la possibilité de réaliser des études gratuites au même titre que tout autre cubain. Ainsi, les troisièmes et quatrièmes générations, possèdent aujourd’hui en majorité un diplôme d’études supérieures. « Nous sommes 10 frères et sœurs et nous avons tous étudié». C’est la plus grande conquête de la minorité haïtienne de Cuba. Vues leurs conditions de vie et de travail avant 1958, ce sont eux qui ont le plus gagné avec la révolution.

Journaliste de profession, Consuelo joue un rôle prépondérant dans la communauté Cubaine d’origine Haïtienne. « Nous travaillons en forme de comité de façon à créer une Association d’Haïtiens descendants et résidants à Cuba ». Ce comité existe depuis 1926 et a été revitalisé en 1991. Ce que Consuelo oublie de mentionner, c’est que ce projet de légalisation de l’association est sur la table du gouvernement depuis plusieurs années, officiellement à l’étude. A Cuba, les associations sont susceptible de se transformer en parti politique, d’où la réticence des autorités. Cependant, pour réaliser des activités culturelles et folkloriques, la communauté haïtienne n’a pas besoin de reconnaissance juridique. La défense du créole a été l’objectif n°1 du comité depuis ca revitalisation en 1991. Comme le patois, terme utilisé à Cuba qui veut dire créole, n’est pas enseigné dans les écoles, le comité se charge de trouver des volontaires afin qu’il soit enseigné aux nouvelles générations. « Le patois est un bien donné par nos ancêtres et il nous faut lutter pour ne pas le perdre ». Mais même à la maison, les nouvelles générations parlent aujourd’hui espagnol. D’après Consuelo, cela s’explique du fait qu’avant, l’Haïtien préservait sa langue pour éviter de se faire comprendre par les autres. Comme il était mal vu, marginalisé, il se sentait comme un renégat. Successivement, le créole est resté comme une langue que l’on parle à la maison. Ceci a contribué au maintien de la langue et du folklore. Il existe d’ailleurs plus de 35 groupes folkloriques Haïtiens à travers Cuba. « Mais aujourd’hui, indépendamment de ton origine, tu peux aller partout et accéder au différents clubs ou associations. Tu peux étudier dans le domaine de ton choix. De grandes figures du monde du sport, de la musique et da la politique sont d’origine haïtienne. « Cuba a changé, et les haïtiens de Cuba aussi. Plus besoins de se cacher comme un renégat…. »

En marchant dans les rue de Haïti chiquito à Camaguey, le vent souffle et soulève à son passage des nuages de poussière. Arquimede fronce les sourcils, sans toute fois se protéger le visage. Il est le petit fils d’Eva Lubin, une Haïtienne arrivée à Cuba en 1925 à l’âge de 4 ans. Comme la majorité des Cubains, Arquimede a deux travails. L’un donné par l’état, son travail officiel, et l’autre à son compte, grâce auquel il complète ses maigres revenus. Il se rend de maison en maison vendre des T-shirts et des sacs. « Je suis bien obligé, car ce n’est pas avec 250 Pesos que je vais réussir à manger… 250 Pesos National c’est à peu près 14 dollars américains, comment veux-tu vivre avec ca ? ». Si tout va bien, Arquimede devrait réussir à gagner 3 dollars, ce qui devrait lui suffire pour la journée. Quand à son travail officiel de gardien, il réalise les heures minimum, de façon à pouvoir faire un peu d’argent. « Si on ne te rétribue de façon à ce que tu puisses te nourrir correctement, et bien tu te fous de ton travail à la fin ». C’est ainsi que tout le monde fait. « Tiens regarde le docteur la. Il passe plus de temps dans ca voiture a faire le taxi qu’à l’hôpital. »
Bientôt nous arrivons chez Yvonne, 79 ans, née à Cuba de parents Haïtiens. Après nous avoir offert le café, comme tout Haïtien qui se respecte, Yvonne s’essaye à quelques pas de danse. C’est elle qui a appris à sa fille Rafaela à danser le ba cadri.
Rafaela travaille elle comme serveuse à l’hôtel Colon. Un hôtel pour touristes qui se trouve au centre-ville. Elle perçoit un salaire de 300 Pesos National et une somme de 10 Pesos CUC (équivalant en tout à 26 Dollars américains). Il existe en effet deux monnaies à Cuba, l’une pour les Cubains, le Peso National, et l’autre pour les touristes, le Peso CUC. Cette différence de traitement ne manque pas d’irriter les Cubains qui souvent se demandent pourquoi certains produits de base sont vendus en Pesos CUC à des prix prohibitifs qui leurs sont donc presque inaccessibles.
Puis c’est une voisine du quartier qui passe vendre un peu de viande de vache à Yvonne. A Cuba il est interdit, pour un Cubain, de posséder de la viande vache chez soi. « La vache c’est pour les touristes… Nous on doit manger du cochon. Mais Rafaela veut offrir un peu de viande de vache à sa maman. Ces côtelettes on bien l’air dénuées de chaire, mais qu’importe, rafaela tend 60 pesos (moneda National) à sa voisine afin d’acquérir le précieux met.

A Camaguey, c’est la semaine de la Culture qui est dédiée cette année à Eva Lubin, chanteuse haïtienne connue de tous les haïtiens de la région.
Une dizaine de groupes folkloriques sont là, avec entre-autres, bonito patois, le groupe Folklorique de Eva. Malgré toutes les difficultés on danse et le rhum coule à flots. Le rha rha, leve table, baton tresse… tout le folklore haïtien est là. On se croirait en Haiti, mais c’est Haiti Chiquito à Camaguey, Cuba.

Depuis leur arrivée à Cuba, les haïtiens ont subi les restrictions qui s’imposaient à eux : exploités par les grandes entreprises opérant dans le secteur de la canne, leurs bas salaires les maintenaient dans une relation de dépendance face aux contratistas. Le fait qu’ils acceptent de venir travailler pour moins d’argent que les cubains, contribuait à leur exclusion de la société. Vus par les cubains comme des renégats, des étrangers, les Haïtiens ont eu tendance à vivre repliés sur eux-mêmes et ont continué à utiliser leur langue et leur folklore. Mais avec la révolution, l’alphabétisation de la minorité haïtienne et l’accès légal au monde du travail ont grandement contribué à leur intégration au sein de la société Cubaine. Cubains à part entière, les deuxièmes et troisièmes générations ont réalisé des études supérieures et sont aujourd’hui ingénieurs, médecin, instituteurs… Il ne fait aucun doute que, vues leurs conditions de départ, ils ont énormément gagné avec la révolution ; mais les difficultés économiques sont grandes. Si le tourisme est perçu comme une ressource, il est aussi source de rêve et beaucoup de Haïtiens se mettent à rêver au retour mythique vers Haïti cheri.

[1] Le premier phénomène migratoire, qui date de l’indépendance haïtienne, est qualifié de politique car les français établis jusque là en Haïti se s’installent avec leurs esclaves a Cuba, ou l’esclavage ne sera interdit que beaucoup plus tard en 1868.

[2] Musicien et chercheur de la culture traditionnelle populaire cubaine qui s’est intéressé de près à l’immigration haïtienne et jamaïcaine à Cuba.

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