Le pèlerinage de Saut d’eau, patrimoine culturel d’Haïti

Juillet 2008

Chaque année, aux alentours du 16 juillet, c’est par milliers que les pèlerins se rendent à Saut d’eau, localité située à une quarantaine de kilomètres au nord-est de Port au Prince. Venus des quatre coins d’Haïti et des terres d’immigrations que sont les Etats Unis, le Canada et la République Dominicaine, ils arrivent à pied, à dors d’âne, en taptap ou en voiture en quête de réponses et de confort spirituel ou pour solliciter les grâces de la vierge.

C’est au mois de Juillet 1848 que la vierge miracle serait apparue pour la première fois à un paysan de la zone qui l’aurait aperçue au sommet d’un palmier, à la base des chutes d’eau, là ou les eaux de la rivière Latombe percutent avec force la terre pétrifiée et désormais sacralisée par l’événement.

Sur le chemin des chutes, nombreux sont les visiteurs qui font un détour par l’église de la Vierge Bakal afin d’assister aux premières célébrations de la journée. Sur les marches à l’entrée de l’église des mendiants venus faire appel à générosité des pèlerins se ruent sur le moindre passant.

Avant qu’il ne fasse jour, le trafic est déjà intense : voitures et taptaps s’accumulent les uns à la suite des autres jusqu'à ce que plus rien ne bouge. Même les taxis-moto n’arrivent plus à se frayer un chemin et sous les coups de klaxon des chauffeurs impatients, les pèlerins n’ont d’autre choix que de continuer à pied.
En cours de chemin, sous un arbre, la foule s’accumule pour observer un serpent et l’on crie déjà à l’apparition d’une incarnation d’Erzulie, déesse de l’amour. Certains pèlerins s’arrêtent pour allumer des bougies et un sanctuaire voué à cette Loa du Panthéon Voudou s’improvise.
Une fois arrivés au « saut », les visiteurs se rassemblent dans le bassin, sous les chutes d’eau bénie. Avant de se baigner, Marie, une commerçante résidant à Port au Prince est allée acheter des herbes chez l’un des nombreux vendeurs que l’on peut trouver tout au long de la descente, longue d’une centaine de mètres, qui mène depuis l’entrée jusqu’au au bassin. « Basilic et souci pour la chance, capable pour les maux de reins… Chaque herbe a sa fonction », explique Marie tout en déchiquetant les feuilles et en versant du rhum à terre pour les Guinée. Avec le mélange d’herbes obtenu, elle se frotte énergiquement tout le corps afin que la potion fasse son effet et la maintienne en bonne santé. Tout autour d’elle, les hommes comme les femmes se débarrassent de leurs vieux vêtements impurs. Avec ce geste symbolique, tous espèrent que les difficultés, les problèmes et la maladie s’en iront et ruisselleront avec l’eau, « comme si on abandonnait une vieille peau ».

Sur les cavités de l’arbre qui a pris racine au milieu de l’un des bassins d’où dévale l’eau sanctifiée par l’apparition de la vierge, les fidèles allument leurs bougies et lui adressent leurs demandes. A bras ouverts et à voix haute, Jacques Verrettes, agriculteur originaire de l’Artibonite, prie pour ses proches. « Je dois de l’argent que j’ai emprunté pour payer la scolarité de mon fils. Que la vierge m’entende et m’aide à rembourser cette dette. » Jacques a beau travailler sur son carreau de terre avec acharnement, mais les maigres revenus ne peuvent suffire à soutenir toute la famille. « La vierge est miraculeuse, elle ne me refusera pas cette faveur… » A proximité de l’arbre, le bruit de la cascade arrive à peine à masquer les cris d’une fidèle entrée en transes. Sous les convulsions, son compagnon a du mal à la retenir. Il lui lie un foulard bleu autour du bras et lui fait boire du rhum, « afin que l’esprit soit apaisé et abandonne son corps.»
Bientôt, une musique se fait entendre, c’est le rara qui fait sont entrée dans le Saut. Tous les bassins sont désormais bondés de monde et il devient difficile pour certains de trouver une place où se baigner. Certains jeunes s’amusent à se jeter de l’eau et sont réprimandés par les plus vieux. « Avant ce n’était pas comme Ça, les gens venaient de partout pour adorer la vierge et se purifier… Mais aujourd’hui les jeunes viennent pour s’amuser en créant du désordre…», indique René en quittant les lieux. Cet haïtien de la diaspora qui habite aux Etats-Unis depuis une quinzaine d’années ne perd jamais un pèlerinage.
Sur le chemin du retour vers la petite agglomération de Saut d’Eau, les pèlerins, purifiés par les eaux, mais aussi affamés, s’arrêtent pour se restaurer dans les nombreuses cuisinettes improvisées que l’on peut trouver tout au long de la route.
Après avoir travaillé une vingtaine d’années dans la restauration aux Etats Unis, Lionel Calvin est revenu s’établir en Haïti en 2005. De son frère, il a hérité d’une parcelle où il a aménagé un petit restaurant. Depuis peu il a acheté une parcelle juste à côté de la source. « J’aimerais y construire un hôtel avec une trentaine de chambres… ». D’après lui, si les visiteurs savent qu’il y a un endroit où dormir, manger et se relâcher à proximité du Saut, ils viendraient en grand nombre tout au long de l’année. « …mais tant que la route n’est pas améliorée et asphaltée, il est difficile d’attirer qui que ce soit. » Pour arriver à Saut-d’Eau, il n’y a qu’une entrée véhiculaire, un tronçon de 6 ou 7 Kms entre Carrefour-Dubuisson et Saut-d’Eau, qui peut mettre plusieurs heures à être parcouru.
En Haïti, le manque d’infrastructures constitue un frein au développement du tourisme et à la juste « mise en valeur » de lieux de culte tels que Saut d’Eau. Tout au long du mois de Juillet, d’autres cérémonies voudou et pèlerinages ont lieu un peu partout à travers le pays, comme à Plaine du Nord ou au Cap Haïtien. Le développement des infrastructures routières constitue une condition de base à l’exploitation d’une ressource des plus précieuses en terre d’Haïti : ses fêtes religieuses, festivals et pèlerinages. Sur ce point, l’asphaltage de la route entre Mirebalais et Port au Prince, dont les travaux sont en cours, constitue un progrès remarquable.

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