Le tap-tap : un symbole roulant

Lieu de rencontre, d’échange et
d´expression d’une culture populaire
Port au Prince Haiti, Decembre 2007

Moyen de locomotion le plus utilisé en Haïti, le tap-tap vient répondre à une demande de plus en plus forte des haïtiens en faveur d’un transport relativement rapide et bon marché. Depuis le début des années 90, ou l’on a pu observer une certaine accélération de l’exode rural vers la capitale et les grands centres urbains, ces véhicules se sont multipliés et sont aujourd’hui l’une des causes du mal-être sur les routes haïtienne. A l’origine de nombreux accidents et du ralentissement de la circulation, les tap-taps restent néanmoins un lieu de rencontre et d’échange et une expression même de la culture populaire haïtiennes.
Etes-vous déjà montés sur un taptap ? Il s’agit généralement d’un pick-up ou d’un camion transformés en bus. Coût du transport ? De 5 à 10 gourdes. Vitesse maximale? 30 à 40 km/h. D’après le président de ’Union Nationale des artistes Tap-tap Haitiens (UNATH), association regroupant différents secteurs participant dans la construction des Tap-taps, la première camionnette, aurait été construite en Haïti en 1939, conçue par un garagiste, avec l’aide d’un allemand, pour relier Port-au-Prince Petit- Goâve. Ce premier modèle fut baptisé « Maman Marie ». Aujourd’hui, il en existe de toutes les couleurs et grandeurs, avec toutes sortes de dessins et d’inscriptions. Par tradition, chaque propriétaire fait de son bus une oeuvre d’art avec des images, des proverbes et des citations. Chaque tap-tap suit sa propre thématique, fruit de l’imagination de son propriétaire. Ferronnier, charpentier, électricien, artiste peintre… tous se sont mis à l’oeuvre pour faire du tap-tap « l’expression roulante » de la culture populaire haïtienne. Sur certains tap-taps, l’on pourra lire : « Jésus mon sauveur » à l’écoute de champs religieux. Ces églises ambulantes sont assez communes dans la capitale et très utilisées pour se rendre à son lieu de travail, à l’école ou partout ailleurs. Pascale aime discuter lorsqu’elle prend un tap-tap, mais en général, elle n’intervient que dans les discutions ou l’on parle de l’évangile et de la parole de Dieu et évite toutes autres discutions qu’elle trouve, selon ses propres mots, « superficielles ». Il y en a pour tous les goûts. Les plus jeunes pourront rimer au rythme de Wyclef Jean, l’idole du public haïtien, très populaire en Haïti. A chaque chanson de Wyclef, on croit entendre un Simidor, sorte de troubadour version haïtienne, chanter la tradition tout en donnant la cadence aux travailleurs des champs. Peut être la musique rend-elle au conducteur son travail moins difficile ? En réalité, la musique est devenue pour les chauffeurs un moyen de courtiser les passagers et ils n’hésiteront pas à mettre le volume au maximum, au péril de vos tympans. Pour beaucoup, les jeunes surtout, la musique est devenue un critère de sélection. Bébélia travaille à la Base logistique de Nations Unies, non loin de l’aéroport et circule en tap-tap presque quotidiennement. Elle aime voyager «avec un bon son», mais dit éviter les tap-taps ou la musique est trop forte.
Les scènes d’amour sont aussi largement reproduites sur ces véhicules. Qui n’a pas vu passer ce tap-tap, qui circule à proximité des Champs de Mars, avec le fameux baiser d’autant en emporte le vent ou Vivien Leigh fonds littéralement dans les bras de Clark Gable ? Il ne faudrait pas oublier les dieux Afro-haïtiens comme Papa Legba, dieu qui « ouvre » la barrière et laisse passer. Les tap-taps à son effigie sont rares, mais très recherchés par certains voyageurs.
Mais les tap-taps sont aussi un lieu de rencontre ou les inconforts de la route sont partagés par tous. Il s’agit d’un lieu ou s’exprime à la foi solidarité et ras-le-bol. Lorsque cet engin s’arrête, pour déposer des passagers, des mains se tendront afin d’aider les gens à se lever, sortir, descendre ou monter. Mais l’attitude contraire est aussi fréquente et certains passagers n’auront aucun scrupule à pousser leurs voisins afin de se frayer une petite place. L’utilisation qui est faite de ce moyen de transport reste très attachée au mode de vie haïtien et l’on retrouve dans le tap-tap la même promiscuité, la même capacité à tirer profit des espaces réduits. Il y a toujours de la place dans un tap-tap, même lorsqu’il est bondé. C’est peut-être ce qui le rend aussi dangereux. Si les passagers sont souvent conscients du danger, ils semblent, comme Henri, vouloir indiquer qu’ils n’ont pas le choix : « J’ai déjà eu un accident par le passé, mais heureusement, rien de grave ne s’est passé. En tout cas, c’est ça ou rien… je ne peux pas me permettre d’aller à pieds au travail… et le taxi est bien trop cher »
Il est vrai que les tap-taps ne respectent aucunement les règles les plus fondamentales du code de la route, mais cela met aussi en exergue le manque de moyens de la Police Nationale Haitienne de mettre en application ces règles. Peut être pourrions nous assister dans les prochains mois, avec la reforme en cours de la Police Nationale Haitienne, à un changement dans l’utilisation et la physionomie des tap-taps, preuve que ce symbole roulant est un reflet de la société haïtienne et des changements qu’elle traverse ? En tout cas, si le tap-tap est un moyen de transport dangereux et source de nombreux maux sur les routes haïtiennes, il n’en demeure pas moins le seul mode de transport bon marché (à part le vélo) et l’expression d’une culture populaire, de ses influences, de ses aspirations et de ses croyances.

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