"Reçois ce bâton qui a été donné par Ntare Rushatsi à ton père et à ton grand père"


Ce samedi 24 juillet, nous nous rendons, mon collègue Abbas de Radio BINUB et moi, à Carama, à quelques kilomètres à peine de Bujumbura pour réaliser un reportage sur l’investiture de plusieurs Bashingantahe. Arrivés sur les lieux de ladite cérémonie, les tambourinaires font vibrer les peaux de vache avec leurs bâtons. Tout au tour des tentes montées pour l’occasion, les enfants jouent et dansent au rythme des tambours. Les représentants du Conseil National des Bashingantahe viennent d’arriver et s’installent sous la grande tente. La cérémonie peut commencer. Les Bashingantahe viennent accueillir les nouveaux prétendants et les escortent à leur place.
Un Mushingantahe prononce un discours au mégaphone. Je ne comprend pas le kirundi et me fait traduire le début du discours par un collègue journaliste. Les prétendants à l’investiture changent de place pour s’installer au centre du rectangle formé par les tentes. Derrière, leurs parrains (umuhetsi) sont la pour témoigner de l’engagement des nouveaux arrivés dans l’institution. Chaque candidat s’engage solennellement à trancher les litiges bénévolement, en toute impartialité et sans considération d’ethnie d’origine ou de provenance régionale. Les parrains posent leurs mains sur les épaules des prétendants qui, en frappant le bâton rituel (intahe) par terre, prêtent serment (indahiro): « si je trahi ce serrement, que je sois maudit ».
D’après la tradition orale, l’institution des Bashingantahe remonterait à Ntare Rushatsi, roi fondateur de la monarchie vers la fin du XVIIème siècle. Le fondateur mythique de l’institution aurait été Sacega, qui aurait rendu des arbitrages célèbres au temps du premier roi : au moment de l’initiation à cette fonction, on se référait toujours à cette origine avec la formule : «Reçois ce bâton qui a été donné par Ntare Rushatsi à ton père et à ton grand père». Ainsi, le fondement de l’Institution, sa première raison d’être, est le règlement des différends. Un, deux, trois coups de bâton et, à la manière des juges dans un tribunal, le litige était irréversiblement réglé.
Au de la de cette fonction primordiale, les tâches dévolues aux Bashingantahe consistaient aussi à réconcilier les personnes et les familles ; authentifier les contrats (mariages, successions, ventes, dons…) ; veiller sur la vérité et la justice autour de soi ; assurer la sécurité des personnes et des biens, où que l’on soit ; conseiller et équilibrer le pouvoir politique à tous les niveaux ; parler en faveur du bien commun, des droits de l’homme et de la responsabilité socio-politique, chaque fois que de besoin ; authentifier, au nom de la population, le nouveau roi, le nouveau chef et le nouveau sous-chef ; veiller à l’écologie des mœurs ; représenter la population en toute circonstance ; juger de l’opportunité de la guerre (kugera urugamba) ; faire observer le code guerrier en cas de violence armée et procéder à l’arrêt des hostilités ; organiser les négociations et la réconciliation après une guerre. Ces tâches étaient coulées dans des codes culturels et dans une investiture fortement ritualisée. Cette investiture avait une valeur d’alliance entre la famille nucléaire du Mushingantahe/Sage et la population.
Mais comment cette institution traditionnelle cohabite-t-elle avec les nouvelles institutions post-crise ? « On aurait pu penser qu’avec les élections, les Bashingantahe auraient pris parti pour certains partis politiques, plus favorables au maintien de nos institutions traditionnelles, comme l’Uprona, mais il n’en est rien. On a par contre pu constater leur rôle apolitique », nous fait remarquer Zenon Manirikiza, coordinateur du Conseil National des Bashingantahe. Il reste que certains incidents sont survenus entre Bashingantahe et élus locaux, avec les récentes élections collinaires. Les élus locaux qui ont bénéficié d’un mandat du peuple ne tolèrent pas d’être subordonnés aux Bashingantahe alors que ces derniers ont été investis en raison de leur notabilité, leur sagesse et surtout leur intégrité. « Les élections collinaires ont eu lieu au lendemain de la victoire écrasante du Cndd-Fdd et beaucoup d’élus locaux proviennent de ce parti. Ce sont pour la plupart des jeunes hommes ou jeunes femmes. Rares parmi ces élus sont les « Bashingantahe » traditionnellement investis, qui ne sont d’ailleurs pas reconnus par le Cndd-Fdd au pouvoir », me confie un Mushingantahe.
Cette institution est-elle en train de se réformer, pour s’adapter à l’évolution des mœurs du Burundi contemporain? En tout cas, la Charte des Bashingantahe a toujours privilégié la famille comme corps pour l’investiture des nouveaux Bashingantahe, au lieu de faire reposer l’Institution sur des individus. A travers le nouveau Mushingantahe, c’est toute sa famille nucléaire qui est investie. Les femmes seules, veuves ou célibataires, sont aujourd’hui incorporées dans une nouvelle structure, mise sur pied par le Conseil National des Bashingantahe et appelée « Abashigikirantahe » (les points d’appui de la sagesse). L’investiture de la femme comme individu, indépendamment de son mari, n’a pas été envisagée par le Conseil National des Bashingantahe. Les femmes seules, regroupées dans cette nouvelle structure des « Bashigikirantahe » constituent un bénéfique groupe de pression au sein de l’Institution des Bashingantahe.
Les Bashingantahe auraient souhaité que leur institution soit mentionnée dans la constitution post-transition, mais cela ne s’est pas fait. Leurs codes culturels ont été malmenés par le régime colonial et par les régimes post-coloniaux qui se sont succédés au pouvoir, mais ils restent une référence pour une grande partie de la population vivant dans les campagnes.





1 comment:

Kiri Jane Morley said...

Hey,
I love your Blog.
I also have a few questions.. I am doing my undergrad dissertation about Women and the Bashingantahe.... have you seen women in active in the Bashingantahe itself? Is it being discretited? does it have much of a role now? What else comes in your mind??? Ohh and is it ok if I borrow a photo of the investiture (referenced properly of course :)....????

bless ya

Kiri Morley
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