Les décharges de Bujumbura

14 Février 2007, Bujumbura, Burundi:



La semaine dernière, je me suis rendu dans une décharge à quelques kilomètres de la ville. En réalité, il existe une profusion de décharges à Bujumbura. Ces décharges se trouvent en général à proximité des grands marchés et ne passent pas inaperçues. Elles laissent une odeur caractéristique. D’ailleurs, plus qu’une odeur, il s’agit d’un amalgame de différentes odeurs. J’ai parfois l’impression que ces odeurs veulent faire la course entre elles et c’est la plus nauséabonde qui remportera le prix d’excellence.
Ces ordures sont en général jetées par les marchands eux-mêmes. Il s’agit d’épluchures, de feuilles d’épis de mais, de fruits pourris, de sacs, d’emballages plastique, de cartons, etc. De temps à autre, lorsqu’il y a des camions disponibles, entre deux pannes, ces ordures, en lisière des marchés, sont transportées hors de la ville par les services municipaux.
C’est ce qui s’est produit cette semaine. Une pelle mécanique et deux camions ont suffi a créer un va-et-vient entre le marché de Jabe et la commune de Buterere, à 10 km de Bujumbura.
La radio à fond, recourbé sur son volant, le chauffeur du camion, un «mswahili» d’une quarantaine d’années, habitant de Buyenzi ne m’a rien demandé, pas un franc pour faire partie du voyage. Il m’est devenu très vite sympathique et je l’appelle «mzee» (vieux), en signe de respect. Nous arrivons à un barrage de police et l’on nous signale qu’il y a un trou, qu’il est donc impossible de passer et qu’il nous faut rebrousser chemin. Pourtant, le véhicule qui nous précédait est passé sans histoires, et le trou ne semble pas vraiment poser de problème. Nous rebroussons donc chemin et prenons un détour jusqu’a la décharge de Buterere.
Le «mzee» m’explique que nous serions passés sans problème en donnant 500 francs, soit moins d’un demi dollar américain. Il accompagne la musique en fredonnant les paroles de la chanson, fameuse dans toute la sous région : « Mtampata wapi kama yule… nimpende anipendi…. Shidda zake ziwe zangu, shidda zangu ziwe Zake…. » (J’en trouverai où, une (autre) comme celle-là… que je l’aime et qu’elle m’aime… ses problèmes sont les miens, mes problèmes sont les siens...). Pour le «mzee», c’est ainsi que les choses doivent marcher dans un couple. Bon ou mauvais, tout doit être partagé : Les problèmes, les joies, les frustrations, la faim…. «Si la sœur de ta femme a un problème, c’est aussi le tien.» m’assurait-il d’un air peu convaincant, comme s’il voulait se plaindre des derniers agissements de sa femme.
Entre temps, nous arrivons à Buterere. Apercevant les premières ordures, je descends et commence à faire quelques images. Plus loin le camion s’arrête et commence à décharger les ordures en bordure de la route. Un jeune gars qui habite à proximité, munit d’une pierre, n’arrête pas de crier et de gesticuler en frappant de temps à autre un bon coup sur la carcasse décrépie du camion : «Ni barabara hapa.» (C’est une route ici). Cette route, qui mène à sa maison est partiellement obstruée par les nombreux déchets. Le «mzee» semble se rendre à l’évidence et décide d’aller décharger ses ordures quelques mètres plus loin.
Tout autour les gamins rigolent et aussi tôt le camion repartit, ils le suivent en essayant de s’accrocher dessus. C’est que les déchets du camion n’on pas été fouillés et une bonne trouvaille pourrait constituer un met de choix pour le repas de la soirée… Les femmes sont déjà là, munies d’un petit bâton afin de pouvoir creuser dans le tas. Tous cherchent ce qui pourrait être encore mangé ou utilisé. Ces ordures iront, pour la plus part, nourrir les poulets à la maison ou même, peut être, les vaches et les chèvres, pour ceux qui ont la chance d’en avoir. Parmi les prétendants au butin final, il y a aussi un gros cochon tout noir qui, avec son museau, remue et fouille dans le tas. Pas de pitié, il mange tout ce qu’il trouve sur son passage.
Derrière, un enfant ramasse une orange, et commence à la manger. La plupart de ces enfants sont trop occupés par l’arrivage de la précieuse cargaison pour me demander quoi que ce soit.
Non loin, au bord de la route, le « mzee » s’impatiente. « Tuende sasa ? (On y va maintenant ?) », me lance-t-il.

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